La Fugue

Dessiner à Rome, une fugue dans la cité éternelle

Je devais partir une semaine entière en juillet sur la côte amalfitaine, ma fugue annuelle a été annulée à cause du COVID. Pas grave, me suis-je dit. La vie a été un tel tourbillon cette année, je n’étais pas étonnée que « ça aussi » doive sauter.

 N’empêche.

 S’il y a bien quelque chose que j’ai appris l’année dernière dans mon parcours de fugueuse, ce sont les bienfaits d’une planification à l’avance. J’avais booké ma fugue de juillet 2019 en septembre 2018, comme ça, c’était fait et archivé dans mon cerveau, une chose de moins à penser sur la to-do.

Comme tout le monde, j’ai enchainé le confinement, la reprise du travail avec les enfants à la maison, les vacances estivales. Je n’ai pas pensé à reporter d’une manière ou d’une autre ce moment annuel que je sais si important.

Mais voilà, je suis terrible car je tire sur la corde jusqu’à ce que ça lâche et sans être encore capable, pourtant après 3 fugues, de sentir qu’il est venu le temps de repartir. Sentir cet appel. C’est bien utile d’écrire un livre sur le sujet et d’être encore à la ramasse !

Cet été entre la Normandie et les vacances à la montagne, j’ai senti que quelque chose clochait. J’avais un manque, je paniquais en imaginant la rentrée sans être aucunement rationnelle, j’avais les larmes qui roulaient trop vite sur mes joues pour un oui ou pour un non, je ne me voyais pas « repartir comme en 40 » en septembre sans avoir pu souffler à un moment. Zut, toutes les vacances étaient planifiées, j’aurais dû y penser plus tôt.

Et là arrive ce qui est le plus difficile pour moi concernant la fugue, accepter sa nécessité et lui faire une place.

Il n’y a jamais de « bon moment », il n’y a jamais de journée enchantée où les planètes s’alignent, l’agenda est vide, les enfants sont gérés, la to do list du travail vide. Il faut toujours faire l’effort de créer un espace pour ce voyage et finalement un espace pour soi, où l’on considère sa petite personne comme étant la priorité. 

Le plus difficile pour moi concernant la fugue, c’est accepter sa nécessité et lui faire une place

Il s’est donc avéré que cette semaine du 24 août semblait être la seule correcte pour gratter 2 petits jours sur mon programme de ministre et improviser une fuguerie.

Il a bien sûr fallu en discuter avec mon mari, la seule personne concernée quand j’organise ce genre de voyage pour moi (je ne m’étends pas auprès des autres, j’aurais bien le temps d’en parler plus tard. Ma mère a appris que j’étais en fugue en voyant les images en stories sur IG #pardonmaman). Lui aussi est fatigué, stressé par cette rentrée que l’on ne maîtrise pas. J’ai dû gérer plus de culpabilité que d’habitude envers moi-même en m’octroyant ce séjour, mais il n’a jamais été question d’y renoncer. En en parlant avec lui, je ne demande pas d’autorisation écrite, j’échange sur mon projet pour gérer au mieux la maison en mon absence.

Une fois la logistique indispensable gérée, la grande question.

OÙ partir ?

C’est la première fois que je n’ai pas eu envie d’aller à Venise. Il faut dire que j’y ai fait un saut avec ma famille début août, que j’y vais avec les fugues italiennes en octobre (#transe de partager ça !), j’avais envie d’autre chose. Mais quoi ?

Premier réflexe de fugueuse professionnelle (n’ayons pas peur des mots), écouter profondément mes envies. Qu’est ce qui m’emballe en ce moment ? Me détend, me fait vibrer ?

Réponse immédiate, le dessin.

J’ai repris depuis un an le dessin, essentiellement en vacances ou je dessine des cartes postales de mes lieux de cœur. La Grèce, la Normandie, Forte, …. je peux passer 1h30 sur un dessin et avoir l’impression d’y avoir passé 10 minutes. Je suis ailleurs, et je suis bien.

Très vite je me suis vue dessiner quelque part et j’ai voulu une ville qui encourage ça.

De plus, à Venise en fugue, je viens chercher deux choses : le grandiose qui étourdit, la beauté qui prend à la gorge et la richesse culturelle infinie. À chaque fois je trouve un nouveau musée, une fondation, un atelier d’artiste à découvrir que je ne connaissais pas.

Rome est apparue comme une évidence en mélangeant tout ça.

 J’ai booké à 14h le jour même de mon départ un billet de train et un hôtel direction la cité éternelle. J’avais prévu initialement de partir mardi matin et de revenir mercredi soir mais j’ai finalement décidé de prendre un train tard le lundi soir pour pouvoir me réveiller à Rome et avoir une grande journée complète. J’en parle dans mon livre « L’appel de la fugue », cette journée complète est sacrée pour moi en fugue, j’ai le temps de faire beaucoup de choses ou rien du tout, mais le temps s’étire et c’est très bon.

Petite appréhension en arrivant à la gare, je n’ai absolument rien prévu et surtout, je n’ai pas réfléchi à cette fugue romaine. Je n’ai pas de lieux précis en tête, d’imaginaire construit autour de cette fugue, de choses qui me titillent à voir, bref je suis légèrement déstabilisée.

J’ai choisi un hôtel dans le quartier de Monti que j’adore. Contrairement à ma dernière fugue à Venise où j’avais une chambre super cheap chez l’habitant, je trouve une promo de dingo sur Booking et m’offre une chambre tout confort. J’ai dormi 10h par nuit, ça les valait bien !

Il est 22h30 quand je pose mes valises à l’hôtel et pas question de dormir, je ne tiens pas en place. Je pars à pieds visiter les sites principaux (en fugue, je marche vite 10 km par jour). Fontaine de Trevi, Piazza di Spagna, je m’offre un Rome by night enchanté où je prends la mesure des effets du covid sur la ville. Rome est vide. J’entends mes pas résonner sur le pavé où que je sois.

A minuit, je booke en ligne 2 visites pour le lendemain dans des musées que je n’ai jamais visité et qui correspondent à mes envies du moment. Je me plonge simplement dans mon Cartoville de Rome et clique mentalement sur deux descriptifs de musée. Je m’écoute, je réserve mes places. Ma journée est « structurée » avec ces visites et j’ai du temps pour flâner, dessiner, glander en terrasse entre temps.

Plutôt que de vous décrire l’agenda précis de ma fugue, j’ai plutôt envie de vous parler des petits et grands moments qui ont vraiment compté pour moi. Car c’est ÇA que je pars chercher :

 

  • Avoir le courage de dessiner quand il y a des gens autour de moi. Ça me traumatise toujours un peu comme je suis loin d’être une pro. 
  • Une claque intersidérale à la villa Farnesina. J’ai pensé tout de suite au choc des fugueuses de Trévise en novembre dernier quand on a découvert la gypsothèque du sculpteur Canova ensemble. Ce moment où pendant quelques secondes, tu es subjuguée, minuscule devant le génie, happée par la beauté qui transcende et embarque l’esprit très loin.
  • Un déjeuner au restaurant Santa Lucia (oui le resto de Eat Pray Love, désolé mais j’y vais depuis des siècles !) où j’ai savouré chaque millilitre de mon vin rouge, sans téléphone, en profitant du petit vent et de la vue sur le mur végétal de l’hôtel Raphaël. Une parenthèse-perfection.
  • Les places désertes et sublimes à découvrir dès que je prends la peine de m’éloigner des artères, ou que je tourne à droite car j’ai tourné à gauche la veille. Piazza Mattei, un bijou, puis en enfilade piazza Margana et Campitelli juste avant le campo dei Fiori.
  • Alterner des nouveautés côté adresses et des classiques dont je ne me lasse pas avec une seule règle, être intransigeante sur la qualité : si je ne suis pas emballée à 100% jamais je ne m’assois à une terrasse et je cherche autre chose. En fugue chaque seconde compte et le plaisir est la seule boussole à suivre (c’est aussi comme ça qu’on finit par manger à 14h30 au lieu de 13h en cherchant la perle rare. OK.).
  • Penser à des personnes auxquelles je ne m’attendais pas. En fugue, ce que j’ai au fond de moi remonte à la surface, comme des bulles. J’ai balayé d’un revers de main tout ce que je croyais important (les sujets qui bourdonnent dans ma tête en permanence) et senti qu’il fallait se reconcentrer sur l’essentiel en soufflant un grand coup. Des choses basiques mais cruciales pour ne pas passer à côté du quotidien.
  • Avoir chaud, avoir soif, et trouver une fontaine d’eau potable fraîche à souhait à chaque fois que j’en avais besoin. Merveilleuses sources romaines dans tous les quartiers !
  • La #Palette de Rome, extraordinaire. « Mes » couleurs (rouge, orange, cumin, rose délavé) et des nouvelles obsessions comme ce bébé bleu ciel passé, tâché de blanc, comme un ciel de Michel-Ange mais sur une façade.
  • La chaleur humaine des romains. Ce n’est pas compliqué, je me suis faite littéralement draguer toutes les 8 minutes. Par principe les hommes s’arrêtent, veulent discuter, ont un mot gentil. Bizarrement ça aurait pu me gaver mais j’ai trouvé ça charmant d’avoir autant de sourires (derrière le masque avec les yeux qui plissent).
  • Apprendre tout doucement à marcher lentement. Quel est mon problème ? Je ne marche pas, je cours ! Je m’en suis rendue compte en me demandant où je courais comme ça ! Le deuxième jour, j’ai réussi un peu à ralentir et à forcément mieux profiter de ce qui m’entoure. Je crois que c’est une image assez claire des efforts à faire aussi au quotidien.
  • Des rencontres. Des femmes fortes. J’ai pris un verre avec mon amie photographe Annie Ojile, fait un tour de vespa derrière elle la nuit au Colisée. Dingue forcément et tellement inspirant. Annie est entrepreneure dans l’âme, a déjà créé deux gros projets à Rome et s’apprête à en lancer un nouveau. Je suis aussi retournée chez Linda et Steve (Hostel Beehive) que j’avais rencontré en 2018 pour Winter in Rome. Ils organisent des dîners privés et j’ai rencontré des femmes (venues en solo) de tous les horizons. Forcément à propos pour ma fugue ! Et puis j’ai rencontré Kelly, qui est artiste peintre et s’est proposée de me faire un cours d’aquarelle sur Zoom bientôt, je trépigne ! (La nouvelle vague couleurs, si tu lis cet article, tu sens bien à quel point tes couleurs sublimes arrivent à point nommé !).

J’écris depuis le train qui me ramène à la maison. J’adore toujours le train en fugue, un sas qui me permet de mettre un pas devant l’autre et d’entrer/sortir doucement de ma propre parenthèse. C’est aussi un lieu où j’adore réfléchir et écrire.

Ma fugue à Rome me prouve encore une fois que le chemin de l’écoute de soi est bien long et que rien n’est jamais acquis pour la fugue. Elle reste un moment qui demande un effort, et me jette au visage une vérité, j’ai toujours autant de mal à prendre soin de moi. J’ai totalement négligé ma santé mentale les derniers mois, j’ai accumulé du stress que je m’autoproduis pour le travail, je suis seule maître à bord pour faire redescendre cette pression et mieux profiter de ce que je construis.

J’ai aussi pris conscience à quel point TOUT va bien. J’ai dû définir ma notion du « succès » pour une marque de vêtement que j’adore, Septem Paris, et cette réflexion est arrivée à point nommé. Mon succès je l’ai déjà entre les mains, il suffit de le vivre pleinement.

Coïncidence, mon livre « L’appel de la fugue » est arrivé par la poste cet après-midi. Je vais enfin le tenir dans mes mains ce soir et j’ai du mal à y croire ! C’est pour moi un projet que j’ai totalement construit avec et pour vous. J’espère que vous y trouverez des idées, des envies, des réflexions pour alimenter votre propre projet de fugue et voler de vos propres ailes. C’est tout ce que je vous souhaite.

 

Baci,

Alice

 

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Par Ali

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