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La Renaissance, une nouvelle vision de la beauté pour raisonner
Lorsque j’ai eu envie de travailler sur le thème de la Renaissance, j’ai tout de suite pensé à Chloé, qui m’avait assistée sur le projet des vidéos Catherine de Médicis. Chloé Thomas est historienne de l’art et professeure de français langue étrangère. Après des études à Paris, elle s’installe en Italie, d’abord à Florence où elle reste trois ans, puis à Turin depuis peu. Elle exerce également l’activité de guide-conférencière en France et en Italie, notamment en Toscane et dans le Piémont qui sont ses régions de prédilection. Je vous laisse en son excellente compagnie !
Baci,
Alice
Deux visions sur le monde diamétralement opposées. C’est ainsi que l’on pourrait résumer la compétition artistique entre deux amis certes, mais surtout entre deux artistes qui représentent des géants de l’art florentin au début du XVe siècle. D’un côté, Niccolo di Betto Bardi, plus connu sous le nom de Donatello, de l’autre Filippo Brunelleschi.
Tout commence lors d’une commande des Franciscains à Donatello, l’un des sculpteurs les plus en vogue dans la Florence du début du Quattrocento. Les critères de cette commande ? Réaliser un Christ en croix pour décorer l’une des chapelles de l’église Santa Croce, en adéquation avec la doctrine franciscaine. Réalisme, compassion, empathie: tels sont les maîtres-mots des suiveurs de Saint François d’Assise. En quelques mots, les frères souhaitent une sculpture qui mette en valeur la nature humaine du Christ, en exaltant notamment sa souffrance pour que Jésus semble ainsi plus proche aux fidèles. Aussitôt dit, aussitôt fait (enfin presque!). Donatello réalise alors un Christ « humain » avec ses plaies apparentes, la bouche entrouverte et les yeux mi-clos de douleur. C’est un succès pour Donatello: l’artiste satisfait non seulement ses exigeants commanditaires mais il parvient également à faire de son Christ l’une des plus belles sculptures du XVe siècle que l’on peut toujours admirer dans la chapelle Bardi di Vernio.
Le seul hic dans cette histoire est raconté dans l’ouvrage des Vite du célèbre biographe et artiste de cour Giorgio Vasari. Dans la biographie de Donatello, l’auteur relate en effet une anecdote particulière de cette aventure artistique. Donatello, soucieux du jugement des artistes qui l’entourent, demande alors l’avis de son ami Brunelleschi sur son Christ destiné aux Franciscains. Réputé pour son opiniâtreté (il a réalisé la coupole du Dôme de Florence – la plus grande jamais réalisée en briques – après son échec au concours des portes du baptistère !) mais aussi pour son franc-parler, Brunelleschi lui répond simplement que son Christ ressemble à « un paysan mis en croix » ! Il lui reproche notamment son réalisme trop cru et un corps jugé indigne de celui du Christ. Vexé, Donatello challenge alors son rival en le défiant de réaliser son propre Christ plus beau que le sien. Ni une ni deux, Brunelleschi se met à l’oeuvre.
Quelques mois plus tard, les deux amis se rencontrent de nouveau au Mercato Vecchio, aujourd’hui encore un lieu de commerce très fréquenté. Brunelleschi propose à Donatello de le retrouver dans son atelier situé aux abords du marché, où il le rejoindra quelques minutes plus tard après avoir fini ses achats. Donatello se dirige alors vers l’atelier du maître les bras chargés de victuailles. Le lieu est sombre. Il se dirige vers le fond de la bottega illuminée de quelques bougies et se retrouve alors face à l’oeuvre qu’il avait lui-même commandée à Brunelleschi. Scotché, Donatello en laisse tomber ses oeufs achetés quelques instants auparavant sur les étals du marché. Lorsque Brunelleschi le rejoint, Donatello s’exclame, admettant de la même manière sa défaite: « Toi, tu fais des Christ, moi des paysans ! ».
Sources images: arteworld.it, yourcontactinflorence.com, smn.it et Wikipedia
Pourquoi Donatello a-t-il été aussi émerveillé par l’oeuvre de Brunelleschi ? En apparence, son Christ n’est pas représenté comme souffrant mais, au contraire, calme, serein. Ce qui frappe surtout, c’est la composition harmonieuse et le vérisme scientifique du corps du Christ, savamment étudié à partir de la perspective mathématique et de l’anatomie.
Mais au-delà de la simple représentation physique, le Christ de Brunelleschi est le premier exemple de homo ad quadratum de la Renaissance, en référence à Vitruve. Sous cette appellation latine se cache en fait un véritable concept mathématique qui fait de l’homme une création parfaite, sa hauteur coïncidant précisément avec la largeur de ses bras, le plaçant ainsi précisément dans la figure géométrique du carré. Pour parler d’une référence, Léonard réalise son Homme de Vitruve vers 1490, près de 80 ans après Brunelleschi !
Même si l’anecdote de Vasari est certainement légendaire, elle est cependant révélatrice de l’état d’esprit d’une époque tournée vers le futur. Dans ce récit, Donatello est en effet perçu comme un sculpteur encore « gothique » se laissant imprégner seulement progressivement des renvois à l’Antiquité. Brunelleschi quant à lui est érigé non plus comme artisan mais comme premier artiste « intellectuel » de la Renaissance, que ce soit dans l’architecture ou dans la sculpture. Il n’en a d’ailleurs réalisé que très peu, son Christ – aujourd’hui dans l’église dominicaine de Santa Maria Novella – étant l’une de ses rares oeuvres sculptées.
En définitive, pourquoi parler ici de Donatello et de Brunelleschi et de leur fameux challenge artistique du début de la Renaissance ? Parce qu’ils incarnent certainement deux manières de penser dans une même époque. La « vecchia maniera » face à la « maniera moderna », comme le résume parfaitement Vasari.
À plusieurs reprises ce récit anecdotique résonne et nous fait raisonner dans notre époque actuelle: à partir de quel moment juge-t’on quelque chose de « dépassé » et l’est-il réellement ou ce jugement nous est-il imposé ? Beauté rime-t’elle avec esthétisme ou peut-elle également résider dans les choses du quotidien ? La nouveauté est-elle synonyme de « mieux » ? La perfection est-elle le modèle à suivre ? Quelques questions seulement que l’on pourrait se poser aujourd’hui à partir d’une anecdote datant de plus de six siècles. Rien de mieux pour étudier l’histoire, et en particulier la Renaissance, afin de l’élever en tant que source de réflexion dans notre quotidien.
Pour notre prochain article de cette série Renaissance, nous nous plongerons dans les grandes explorations des 15 et 16e siècles !
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Par Ali
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