Humeur voyageuse

L’Italie à Paris avec Cédric Casanova, fondateur de La tête dans les olives

Cedric Casanova devant sa boutique à Paris

Pour notre nouvelle interview « L’Italie à Paris », nous avons choisi de partir à la rencontre de Cédric Casanova. Cédric a grandi entre Paris et la Sicile. En 2004, après une carrière internationale dans le monde du cirque, il décide de poser ses valises en Sicile et de formuler quelque chose qui l’anime, qu’il a en lui depuis longtemps et qui est lié à la production d’huile d’olive. Une certaine idée de la collectivité, de la valorisation d’un travail et d’un territoire auxquels il est profondément attaché. Après 3 ans d’observation, de réflexion, de recherches et d’expérimentations, sa première boutique, La tête dans les olives, était née. 

Bonjour Cédric, peux-tu te présenter et nous expliquer quelle est ta connexion à l’Italie et à Paris?

Je suis né à Paris d’un père Sicilien et d’une mère Française. La Sicile, c’est un endroit où je vais depuis que je suis petit. J’ai grandi entre les champs, la mer et la ville. Mon parcours professionnel a démarré dans le spectacle, le cirque. En 2004, je travaillais pour le Cirque du Soleil mais j’ai eu envie de changer de vie et je me suis lancé dans un cahier des charges sur la production d’huile d’olive.

 

Pourquoi l’huile d’olive?

L’huile d’olive m’a toujours accompagné. En Sicile, c’est une extension de la famille. On a toujours eu de l’huile d’olive selon la pratique sicilienne, via une récolte familiale et annuelle. L’huile nous était donnée par Anita à l’époque, une personne à qui nous étions très liés. Ce don, ce geste était chargé. Ce n’était pas festif, il y avait un poids, une emphase. Ça m’a pris beaucoup d’années pour comprendre et mettre des mots dessus. J’ai décidé d’honorer, de reconnaître ce geste. L’huile d’olive en Sicile a une symbolique qui remonte à très loin, elle est dans l’inconscient. Mon oncle me disait qu’enfant, quand ils la faisaient, ils s’installaient sous un abreuvoir, créaient un petit cours d’eau et toute la famille se mettait de chaque côté du cours afin de broyer les olives avec la pierre pour que l’huile aille alors se déposer sur une nappe d’eau immobile en contrebas. Pour faire 1 litre, il fallait 1 journée. Quand mon oncle m’a raconté ça, c’est devenu une évidence, il y avait la notion de mérite. Je retrouvais ça dans mes années de cirque, dans mon entraînement, le travail, la transpiration pour obtenir quelque chose. Quand les familles parlent de leur huile, elles vous expliquent que c’est la plus belle du monde. Et d’un certain point de vue, c’est très juste. Bien sûr que c’est la plus belle du monde puisque c’est celle qu’ils ont fait!

L’huile d’olive en Sicile a une symbolique qui remonte à très loin, elle est dans l’inconscient

Qu’est-ce qui te pousse à te poser en Sicile pour observer les méthodes de production agricole et y réfléchir, expérimenter?

Il s’agit d’un patrimoine agricole affectif dans lequel la notion de durabilité me plaisait: la récolte est une tradition familiale qui perdure, sur des oliviers de parfois 200-300 ans, un entretien de ce que l’on a. J’ai décidé de réaliser un échantillonnage avec l’huile des familles dont j’étais proche. J’ai commencé avec l’huile d’Anita, qui était celle avec laquelle j’ai grandi. Puis il y a eu celle de la tante Paola et ainsi de suite. Avec Marco, le fils d’Anita, on a grandi ensemble, on a beaucoup parlé d’huile d’olive, on s’est engueulé. Dans notre relation, l’huile était très présente! A l’époque où moi j’étais dans le cirque, le spectacle, je l’ai vu reprendre la ferme familiale, il me parlait de ses champs et de ses olives. J’ai commencé à ramener de l’huile d’olive à Paris et à en vendre autour de moi.

A ce moment-là, comment le projet prend forme?

C’était clair pour moi, je voulais en faire mon métier, mais comment? Au début, je faisais de la vente clandestine dans mon salon, puis il a fallu passer à un autre stade, le produit parlait de lui-même aux gens et moi je m’y intéressais encore plus. J’ai étudié les oliveraies. Une oliveraie a besoin d’autres variétés pour que le phénomène de pollinisation se fasse. C’est une valeur intéressante car ça parle de diversité. Chaque oliveraie a sa propre carte d’identité, comment allais-je faire pour faire exister toutes ces cartes d’identité? Chaque terrain a sa spécificité et ça ne tient pas qu’à la variété d’olive, mais aussi aux autres arbres présents sur le terrain, à la terre, au contexte, à l’air, à la pluie, à ce qui passe. Tout est en mouvement, les goûts sont en mouvement. J’ai passé énormément de temps en Sicile pour comprendre la relation de l’agriculteur à son travail. Après 3 ans, en 2007, j’ai décidé d’ouvrir une boutique à Paris et de représenter le travail qu’on faisait sur les terres.

Chaque terrain a sa spécificité et ça ne tient pas qu’à la variété d’olive, mais aussi aux autres arbres présents sur le terrain, à la terre, au contexte, à l’air, à la pluie, à ce qui passe

Tu as mis en place un modèle économique propre dont l’objectif est de soutenir les paysans siciliens dont le fruit du travail était voué à disparaître. Peux-tu nous l’expliquer?

Je connaissais la réalité oléicole en Sicile, composée d’une infinité de petites parcelles, appartenant à chaque famille. Ces parcelles produisent en moyenne 400-500 kg d’huile d’olive par an et la consommation familiale moyenne en Sicile est de 100 à 200 kg. Cela donnait un surplus annuel dans chaque famille mais il n’existait pas de modèle économique permettant de valoriser ce type de quantité. A Paris, une famille consomme entre 5 et 10l d’huile d’olive à l’année, donc avec la production d’une famille sicilienne, on peut nourrir un certain nombre de familles à Paris. C’est comme ça que mon idée est née. 

 

Comment choisis-tu les familles avec qui tu travailles?

Pour moi, tout repose sur l’humain: une bonne personne fait du bon travail. J’ai passé et je passe beaucoup de temps avec ces agriculteurs. Je travaille aujourd’hui avec 75 familles siciliennes qui me fournissent presqu’autant de variété d’huiles d’olive, en petites productions. 

 

Qu’est-ce qui fait, selon toi, une bonne huile d’olive? 

Il y a pour moi plusieurs éléments de réponse. Tout d’abord, la bonne huile, c’est celle qui vous plaît. C’est quelque chose de subjectif, d’intuitif, d’instinctif. Ensuite, il existe un codex nutritif avec des critères objectifs: les peroxydes, l’acidité oléique, les fameux acides gras, toutes ces propriétés nécessaires à notre santé. Et enfin, il y a l’exceptionnalité, ce qui est encore plus que bon. Pour moi, c’est avant tout de l’affect et lié au goût, ce qui va nous surprendre.

La bonne huile, c’est celle qui vous plaît. C’est quelque chose de subjectif, d’intuitif, d’instinctif

Quelles sont les particularités de tes huiles siciliennes? 

Elles sont toutes différentes et pourtant proviennent d’un petit territoire, une zone d’environ 60km2, avec en son centre le village de Salaparuta. Prenez une Nocellara, intense, avec un bel herbacé et qui, en bouche, passe de quelque chose de très aérien à quelque chose de très long; ou une Cerasuola qui est imprévisible, étonnante, avec de la fleur, presque un sucre à la mise en bouche, puis qui repart sur de longs amers; ou une Biancolilla, avec un profil doux moyen et légèrement citronné; et une Piricuddara, qui est un bonbon en bouche rappelant la poire, mais un bonbon végétal. Chacune a son histoire, sa spécificité.

 

Et en termes d’utilisation, les choisit-on en fonction du plat que l’on prépare?

Le choix de l’huile d’olive va beaucoup dépendre de l’imaginaire culinaire de celui qui cuisine. Je collabore depuis longtemps avec des grands chefs. Denny Imbroisi, par exemple, aime la fleur, l’onctuosité, alors il travaille une variété précise, une de mes Piricuddara. Avec Pierre Hermé, on est parti sur une Cerasuola pour l’intégrer dans ses macarons, avec un goût qui part sur la caroube, des tonalités de cacao, de torréfaction. Alain Ducasse, c’est une Nocellara, car il aime les goûts très francs, ce qui dérange.

 

Le choix de l’huile d’olive va beaucoup dépendre de l’imaginaire culinaire de celui qui cuisine

Quelles évolutions a connu ton projet?

Après la première boutique ouverte en 2007, il y a eu un deuxième lieu à Paris en 2009, La Table Unique, puis une boutique à Londres et une autre à Tokyo. L’esprit n’a jamais changé. Les années passent et je suis toujours dans les champs, derrière mes machines, j’ai créé mes propres techniques. D’ailleurs, j’ai décidé d’appliquer mon modèle économique à un autre produit que l’huile d’olive: le blé et plus particulièrement les variétés antiques présentes en Sicile. Un troisième lieu parisien est né de cette nouvelle expérimentation: le Mulino Mule, ouvert en mai 2018. C’est un moulin en ville, l’idée est d’amener la campagne dans l’espace urbain pour créer du lien, donner du sens. C’est aussi une manière de revenir à ce qu’il y avait avant car au 19e siècle, dans le quartier Sainte-Marthe, il y avait un moulin.

L’idée est d’amener la campagne dans l’espace urbain pour créer du lien, donner du sens

Dans ta Table Unique, quel type de cuisine italienne revendiques-tu?

Aucune! Je ne suis pas cuisinier, et dans ma famille, il n’y avait pas de passion autour de la gastronomie. Mes parents étaient sportifs, on mangeait bien, on avait une alimentation qui ne chargeait pas, on aimait les fruits, le cru, on avait de belles valeurs basiques mais il n’y avait pas d’exaltation. Manger pour nous avait une forme de normalité, de naturalité.

La Table Unique est née de rencontres. J’avais des produits particuliers dans ma boutique, avec une valeur marquée et j’ai commencé à rencontrer du monde et on s’est amusés. Des chefs sont venus y cuisiner, des amis aussi… Le principe de base de La Table Unique repose sur la dégustation. Ca m’a amené à faire des préparations, des associations, par exemple une bresaola de thon, du citron, du fenouil sauvage et une belle huile d’olive adaptée. Ce n’est pas savant mais pas forcément évident. 

 

Y a-t-il un moment italien qui vous manque dans le quotidien parisien ?

Beaucoup de choses me manquent. La confrontation avec la campagne, l’immédiateté du produit et puis les gens. Et pour un moment de vie italien, je pense tout de suite au café pris au bar le matin, avec une sfoglia alla ricotta, une pâtisserie à base de pâte feuilletée et de ricotta fraîche.

 

As-tu quelques adresses italiennes à Paris ou en Sicile à partager avec nous ? 

Pour un café?

A Paris, par accointance personnelle et pas goût, je fréquente l’établissement d’Hippolyte Courty, l’Arbre à Café. Et en Sicile, j’ai mes habitudes au Bar Central de Salaparuta, c’est là que je prends mes sfoglie alla ricotta.

L’Arbre à Café: 10 Rue du Nil,  75002 Paris

Bar Central: 1 Via Puglia, 91020 Salaparuta 

 

Pour un restaurant?

Il y a des chefs italiens incroyables à Paris. Fabrizio Ferrara (Osteria Ferrara), Denny Imbroisi (IDA) ou encore Lorenzo Sciabica. Lorenzo a travaillé avec moi à la Table Unique, il avait une jolie patte, il avait capté l’esprit et la simplicité de la Table. Il a aujourd’hui un établissement dans le 9e, Pastore.

Osteria Ferrara: 7 Rue du Dahomey, 75011 Paris

IDA: 117 Rue de Vaugirard, 75015 Paris

Pastore:  26 Rue Bergère, 75009 Paris

 

Pour une cave à vin?

Je bois peu d’alcool mais j’aime beaucoup Le Verre Volé ou Le Cave car ce sont des gens qui font un travail très consciencieux, j’ai appris beaucoup à leurs côtés.

Le Verre Volé: 67 Rue de Lancry, 75010 Paris

Le Cave: 129 Avenue Parmentier, 75011 Paris

 

Un lieu culturel?

Pour ça, je vous emmène à Palerme, dans 2 lieux incroyables: Santa Maria dello Spasimo, une église à ciel ouvert, où j’aurais rêvé de me produire et La Zizza, un ancien palais de sultans, joyau d’architecture et d’intelligence (l’eau passe partout ds la maison)!

Santa Maria dello Spasimo : Via Dello Spasimo, 10, 90133 Palermo

La Zisa: Piazza Zisa, 90135 Palermo

Cedric Casanova Ali di Firenze 1

À la maison, quels sont les trois produits italiens essentiels que l’on trouve toujours dans ta dispensa, ton garde-manger ?

De l’huile d’olive (plusieurs!). Des olives, l’olive est une bénédiction, que ferait-on sans olive? Et de la ricotta!

 

As-tu de nouveaux projets en cours? 

J’ai encore de nouveaux projets liés à la territorialité en Sicile. Je n’ai plus trop envie de développer des vitrines en ce moment, je préfère asseoir un savoir-faire. Un projet qui me tient à coeur, c’est celui de l’Académie de la greffe, car c’est un savoir-faire qui est en train de disparaître alors que c’est un métier magnifique. Je travaille actuellement avec une équipe de greffeurs, d’élagueurs, un ingénieur… Je veux favoriser ces professions très proches de la nature et empêcher la disparition de certaines variétés.

Je veux favoriser ces professions très proches de la nature et empêcher la disparition de certaines variétés

Et un/e italien/ne à Paris dont tu aimerais nous parler?

Salvator-John Liotta, un architecte basé à Paris. J’aime beaucoup l’esprit de son travail et on a d’ailleurs un projet en cours ensemble, un moulin collectif qui produirait de la farine et donc de la pasta pour la collectivité en Sicile. On bosse dessus avec Andrea Bartoli, le créateur de la Farm Cultural Park à Favara.

Salvator-John Liotta: https://www.lapsarchitecture.com/prsentation

Farm Cultural Park: Cortile Bentivegna, 92026 Favara

 

Pour terminer, peux-tu nous partager un plat qui magnifie l’huile d’olive? 

Quand je vais en Sicile, j’adore aller m’acheter des crevettes crues à la poissonnerie. Je les assaisonne avec du persil, du citron et notre belle huile d’olive Piricuddara, c’est magnifique. C’est le condiment qui s’exprime et qui explose.

 

Grazie mille Cédric!

 

Découvrez l’univers de Cédric Casanova ICI

Ses boutiques à Paris:

  • La tête dans les olives (où se trouve la Table Unique): 2 Rue Sainte-Marthe, 75010 Paris
  • La tête dans les olives Ducouëdic : 54 Rue du Couëdic, 75014 Paris (actuellement fermé)
  • Mulino Mule: 25 Rue Sainte-Marthe, 75010 Paris

 

Et pour lire nos autre interviews de l’Italie à Paris, c’est par ICI

Par Emilie Nahon

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