Adresses et conseils en vins italiens
INTERVIEW, Nicolò d’Afflitto, œnologue Marchesi de’ Frescobaldi
Rencontrez Nicolò d’Afflitto c’est comprendre un peu mieux la Toscane. Nicolò met son talent au service de la famille Frescobaldi en tant que œnologue en chef pour toutes les sociétés du groupe. Avec 10 millions de bouteilles par an et 1300 hectares de terre à superviser, ce philanthrope qui passe deux soirées par semaine à faire du volontariat, effectue un métier à haute responsabilité, exigeant, guidé par l’amour de la terre. Il m’a reçu avec sa fille Margaux chez lui, dans son potager exceptionnel de 400 variétés de tomates.
Bonjour Nicolò et merci de me recevoir dans cette propriété magnifique.
J’ai grandi ici, à Castel Ruggero, entre ce potager que j’arrosais petit et les caves de vin où je courrais juste après. Ma vie actuelle est donc le prolongement naturel de mon expérience d’enfant et naître à la campagne a été certainement un avantage car les odeurs sont plus pures, on capte plus d’informations au niveau de l’odorat.
Vous étiez donc prédestiné à travailler dans le vin ! Quel a été votre parcours ?
J’ai étudié l’œnologie 4 ans en France à Bordeaux car les parcours universitaires dédiés au vin n’existaient pas à l’époque en Italie. Puis je suis parti en Californie apprendre l’anglais et voir sur le terrain comment les américains travaillaient. Je travaille pour la famille Frescobaldi maintenant depuis presque 25 ans et pilote une équipe d’une dizaine d’œnologues.
Quel est votre rapport avec cette équipe ?
Les grands vins, et les lancements de nouveaux produits sont une affaire d’équipe, impossible d’avancer en solitaire. Mais je suis extrêmement exigeant avec les gens qui m’entourent et j’ai besoin de les voir avancer, que ce soit dans leur connaissance ou leur expertise, sinon je m’en sépare. Nous sommes là pour produire l’excellence, pas moins.
Comment définiriez-vous votre travail ?
Beaucoup de personnes ont une vision ‘romantique’ du travail alors que pour faire un bon vin, il y a avant tout une connaissance technique avec des maths, de la bio, de la physique… et les mains dans la terre. Un autre élément fondamental pour moi est la recherche continue du plaisir. C’est d’une certaine manière l’essence même de la Toscane, une philosophie qui s’applique à tous les secteurs où Florence excelle.
C’est-à-dire ?
« Dare Piacere » est la quintessence de la région, sa raison d’être: nourriture, vin mais aussi art ou vêtement, tout est guidé par la recherche d’un plaisir avec une barre d’exigence et de qualité extrêmement haute. Les florentins ont cela dans le sang et maitrisent l’art du Buon Vivere comme personne.
Les florentins ont l’art du Buon Vivere dans le sang.
La « marque » Frescobaldi a-t-elle un ADN bien à elle ?
Chaque société du groupe et donc cave a sa propre personnalité. Je ne travaille absolument pas les vins en ayant une vision pour le groupe mais en prenant en compte la terre, le climat local qui sont des éléments qui peuvent varier d’une colline à une autre et bien sûr en prenant en compte ce qu’attendent les clients.
Comment travaillez-vous sur un nouveau vin ?
C’est une élaboration qui peut prendre 20 ans pour arriver à l’équilibre parfait. En faisant intervenir la nature et l’humain dans l’équation, chaque maillon de la chaîne est précieux et doit être parfaitement calibré. La création du champagne Pomino par exemple a pris 10 ans. Cette naissance passe par différents tests, des ventes en petites séries, …
Vous parliez plus haut de répondre aux attentes des clients. Comment créer une proposition originale dans ces conditions ?
Je travaille sur des détails qui sont perceptibles mais non identifiables. Les arômes se jouent à différents niveaux : arôme premier caché dans la grappe, arôme lié à la fermentation, arôme du bois de la barrique qui oxyde le vin d’une certaine manière… Je cache dans les vins des subtilités qui en feront un vin différent en bouche.
Une journée type sur les terres des Frescobaldi ?
La même depuis 25 ans ! Je me lève tôt et démarre par la société la plus loin de la maison : visite des vignes, contrôle des cépages, discussion avec les agronomes, visites des caves et dégustation. Puis de nouveau, même cérémonie dans un autre domaine en me rapprochant de la maison.
Comment maintenez-vous en vie la tradition ? Que ce soit celle des Frescobaldi mais aussi celle liée à la région Toscane ?
La tradition perdure uniquement grâce à l’innovation. C’est une spirale, pas un cercle et il ne faut jamais s’arrêter d’innover, par exemple en changeant des barriques de châtaignier pour du chêne et en allant s’approvisionner chez les meilleurs fournisseurs, la France notamment. La tradition liée à la Toscane passe évidemment par le Sangiovese, variété de raisin la plus répandue en Toscane mais aussi dans toute l’Italie, qui est née dans le Chianti vers 1500. Elle prend maintenant de nombreuses dénominations (Chianti, Chianti Classico, Morellino, Nobile di Montepulciano, Brunello di Montalcino) et a permis la création d’une centaine de clones!
Sur quelle nouveauté planchez-vous ?
Un nouveau type de rosé Ninfa del Mare, positionné très haut de gamme, que nous lançons en mars au salon Vinitaly. Produit sur le domaine de l’Ammiraglia, c’est un vin que j’ai voulu plus proche du champagne que du vin rouge. Pour fignoler la touche luxe de ce nouveau rosé, il se vendra dans une bouteille blanche conçue par Saint Gobin avec une piqûre (le vin se sert donc avec un geste précis en étant tenu par le bas de la bouteille comme un champagne).
Le marché du vin que ce soit en France ou en Italie « subit » de plus en plus les diktats du marketing. Une bonne chose pour valoriser une industrie mais une difficulté pour les hommes de terrain. Je me trompe ?
Cela dépend des domaines. Il est essentiel de soigner les lancements dans le détail en s’épaulant sur des spécialistes, équipe marketing interne ou consultant comme Simonetta Doni pour les étiquettes. Mais les Frescobaldi restent malgré tout de véritables producteurs, dans le sens noble du terme. Lamberto F. connaît sur le bout des doigts ses domaines et le cœur de cette famille bat pour le territoire, la tradition. On est loin de la machine de guerre marketing, le travail est dans l’essentialité liée à la terre.
Un petit mot sur vos voisins français ?
Les français en matière vinicole ont une maîtrise incontestable de la vente. Que ce soit au niveau commercial avec des histoires parfaitement ficelées pour raconter et donc vendre les vins et châteaux, mais aussi les transports fluviaux qui facilitent considérablement les échanges. Il y a donc un héritage et un savoir-faire qui se comptent en siècles. En ça, l’Italie est en retard et les sommeliers italiens qui interviennent dans la vente de la marque doivent intégrer l’importance du message, de la bonne communication.
A noter également : l’art de la barrique avec des instances qui garantissent la grande qualité du bois (Forêt datant de Colbert, Office Nationale des Forêts, …).
Le futur vous le voyez comment?
En Grèce dans ma maison de vacances! Ma fille Margaux fait des études d’aménagement du paysage, mes fils Gaetano et Giulio étudient respectivement le marketing et l’œnologie… tous sont en France. La relève est assurée !
Merci beaucoup Nicolò. Rendez-vous en septembre pour célébrer les tomates dans ce sublime potager.
Découvrir l’interview de Simonetta Doni, spécialiste des étiquettes de vin et du marketing appliqué à ce secteur.
Par Ali
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