Art de vivre italien
INTERVIEW Sileno Cheloni, parfumeur Aqua Flor Firenze
Rencontrer un parfumeur a quelque chose de magique. Quelqu’un qui traduit des émotions ou peut recomposer une personnalité en odeurs (pour moi qui ai l’odorat d’un crayon à papier), c’est assez déroutant. J’ai eu la chance de pouvoir passer une matinée avec Sileno Cheloni, le génial créateur et parfumeur de la marque Aqua Flor Firenze, et d’avoir des réponses inspirantes à mes questions qui m’en ont appris bien plus sur la tradition méconnue qui lie Florence et le parfum. Dans cet article nous partons donc au combat contre les idées reçues: Grasse, capitale du parfum, n’a qu’à bien se tenir.
Bonjour Sileno, votre marque décolle, on vous retrouve jusque dans le New York Times mais on lit très peu de choses sur vous. Racontez-nous votre parcours.
je dirais qu’il y a deux grands types de parcours pour devenir parfumeur. La première voie est l’éducation dite ‘technique’ via les prestigieux instituts de formation comme celui de Versailles à Paris. La parfumerie française est reconnue comme étant la plus esthétique et celle aussi qui sait vraiment vendre… Et il y a l’autre voie, celle de l’adoption par une famille de professionnels. J’ai eu la chance d’être adopté par une famille de parfumeurs milanais qui possédait l’Antica spezzeria di Milano. J’y ai tout appris: les formules, les essences, la sélection.
La sélection ?
Oui c’est fondamental ! Il existe 5000 essences dans le monde, et des centaines de variations pour chacune d’entre elle. Un professionnel en utilise une moyenne de 1500, une ‘sélection’ construite avec le temps… cela devient un véritable patrimoine car les variations que le parfumeur va sélectionner sont des étapes pour construire son propre style et vont le suivre tout au long de sa carrière.
Vos voyages vous ont également aidé à modeler votre style?
C’est l’autre composante essentielle de ma formation. Dans certains pays, il y a une spiritualité dans le parfum, on utilise par exemple en Inde des essences particulières pour réussir à « se connecter » aux divinités. C’est ce parcours, cette sensibilité qui me plait car la matière première, l’essence, a finalement un certain pouvoir : celui d’être un moyen de communication. Le parfum est un messager.
Aqua Flor… d’où vient le nom de la marque ? Comment l’avez-vous imaginé ?
Je voulais aller à l’essentiel : Aqua, pour la matière première. Flor pour Florence, la cité des fleurs. Je voulais une marque, mais surtout un lieu comme les Bottega antiques. Un endroit où on se confronte au client, où il y a un vrai contact. Pour moi vendre des parfums c’est vendre une expérience, un produit ‘vivant’.
Le choix de proposer des parfums sur-mesure était important j’imagine dans ce contexte ?
Tout à fait. Acheter un parfum sur-mesure, c’est finalement une sorte de voyage que la personne se concède à elle-même. Un billet pour une destination qu’elle choisit, moi je me contente d’interpréter. La création peut prendre deux heures comme une demi journée, cela dépend du client. Je sélectionne de 20 à 40 essences en fonction de la demande et de sa précision. Certains clients sont fascinants car leur personnalité est forte et ils finissent par m’inspirer la création d’un parfum !
Je suis frappée par la forte identité de la marque. Comment êtes-vous arrivé à cet équilibre de modernité et tradition ?
La marque a été lancée en 2010 et a donc peu d’histoire. Je voulais un packaging de produit qui vit avec son temps, moderne, avec un petit coté scientifique sans fioriture. La grande chance c’est d’avoir trouvé cette boutique-écrin totalement lié à l’histoire de la ville, dans un palais historique (le Palazzo appartient à la famille Florentine Antinori). Pour les meubles, ils viennent pratiquement tous d’anciennes pharmacies, de Florence et de Sienne. Ce mobilier en bois massif réchauffe le lieu, et j’ai dessiné ces lustres immenses fabriqués à Florence par des artisans locaux. Je ne fais d’ailleurs travailler que des artisans de la région : les bouteilles sont produites à Pistoia, les bouchons de bakélite à Sesto Fiorentino par un artisan de 88 ans, le dernier en Italie à savoir travailler aussi bien cette matière, les incisions des bouteilles personnalisées sont faites à Florence par Gaikan.
Reparlons des essences. Privilégiez-vous les essences locales?
Les racines de l’Iris, la lavande, la rose antique que Catherine de Medicis a importées en France sont des odeurs qui appartiennent au patrimoine de Florence et que j’aime utiliser.
Quelle matière première considérez-vous comme la plus précieuse ?
Toutes les essences sont précieuses car on ne sait pas de quoi demain sera fait, si l’on aura la chance de retrouver la qualité ou une variation précise. En tout cas pour moi, ce n’est jamais une valeur de marché mais une valeur tout à fait personnelle car l’essence intègre mon patrimoine de parfumeur.
Il y a une tradition de longue date qui lie Florence et le parfum. Etrangement, tout cela reste assez méconnu. Y-a-t’il un problème de reconnaissance ou bien plus simplement de promotion?
La tradition existe toujours, le parfum fait partie de l’ADN de la ville et pas seulement pour les essences et odeurs qui y sont associées. Production, transformation, pharmacie, parfumerie, toutes les étapes sont représentées. Mais je suis d’accord sur le fait que tout ce patrimoine est sous-utilisé, et bien moins exploité que ne le fait Grasse en France par exemple. Les touristes du monde entier viennent à Florence pour le travail du cuir, pour l’art, la tradition de l’or, mais pas pour l’univers du parfum !
Alors qu’il y avait déjà à l’époque de la Renaissance à Florence des traces très claires de l’utilisation des essences, de leur sélection, élaboration en formule. Cosimo di Medici travaillait par exemple à la fabrication de potion et notamment d’élixir dit de longue vie.
Pour terminer, la mitraillette à questions… (Je ne laisse aucun répit en interview, je suis terrible).
- Quelle qualité devrait avoir un parfumeur ? l’humilité.
- Combien de temps pour créer un nouveau parfum ? trois heures ou trois ans. Cela fait 10 ans que je travaille sur un certain parfum.
- Quel parfum auriez-vous aimé créer ? Fumeries Turque de Serge Lutens.
- Une odeur que vous associez à la France ? Etrangement la menthe ! Jeune, j’allais à Marseille chez ma tante l’été et il y avait un champs de menthe juste à côté.
- D’où vient l’inspiration dans le processus de création ? C’est un entrainement de tous les jours, même quand je ne l’ai pas, je travaille, je l’attends avec joie et anxiété.
- Un nouveau projet top secret? Une idée de pilulier avec des bonbons aux plantes pour la digestion, un nouveau site avec une section e-commerce, …
Grazie Sileno !
Découvrir la boutique dans le quartier de Santa Croce.
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Par Ali
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