Interview

Les habitudes de la journaliste Elena Diachenko dans la Lagune Vénitienne

Elena et moi, ce sont 5 ans d’échanges passionnés sur l’Italie. Nous nous sommes rencontrées lors de Pitti Uomo en 2015, j’étais enceinte de Leone, je démarrais timidement le blog. C’est elle qui m’a filé un sacré coup de main en m’ouvrant les pages du ELLE et ELLE Décor en Ukraine. Chance pour moi, elle me laissait carte blanche pour choisir mes sujets, tant que j’insufflais de la magie italienne. Puis c’est la presse qui est arrivée, avec de vrai reportage voyage à Turin, Pietrasanta, Florence … Entre temps Elena est elle aussi tombée raide dingue de l’Italie et s’est installée à Venise en septembre. Une ville dont vous allez voir, elle parle si bien …

Ciao Elena, peux-tu nous dire d’où tu viens et nous raconter ton parcours professionnel ?

Je suis journaliste. En 2012 j’ai commencé à travailler pour ELLE et ELLE Décor en Ukraine. Pour ELLE j’étais rédactrice de mode, je produisais les shootings photo, j’écrivais sur la mode, l’art, le lifestyle… je travaillais mon goût. Aujourd’hui je vis à Venise et continue à collaborer pour différents titres comme ELLE, Cosmo et Harper’s Bazaar. En plus, j’ai créé à Venise un itinéraire de mode dédié à des marques locales de niche (Venezia di Nicchia), des réalités qui incarnent le style, le raffinement et l’unicité de Venise.

Tu viens très souvent en Italie depuis quelques années. Quel est ton lien avec le pays ?

Les dernières 7 années, j’ai voyagé le plus possible en Italie pour le travail et le plaisir. Je me suis passionnée pour le pays au premier voyage et j’ai constamment trouvé des occasions d’y retourner. Quand je n’ai plus supporté le fait de devoir rentrer chez moi, j’ai pris la décision d’essayer de venir y vivre. Depuis septembre, j’étudie l’histoire de l’art à l’université Ca’ Foscari.

Commenta as-tu appris l’italien ?  Tu es une autodidacte !

J’ai commencé à l’étudier par curiosité l’été 2014 quand je n’avais pas grand-chose à faire. Je regardais des vidéos sur Youtube, des séries italiennes un peu débiles pendant que je me repassais une chemise. Puis il y a eu un cours dans un centre culturel italien, la pratique avec des amis … et j’ai fini par étudier l’anthropologies culturelle en italien ! J’en suis très fière. Etant journaliste, je ne pensais pas un jour oser écrire professionnellement en Italien. Mais après un cours d’écriture créative avec Tiziano Scarpa (à lire impérativement, son livre ‘Venezia è un pesce’, le meilleur guide sur la ville !) je suis beaucoup plus sûre de moi

Parles-tu le dialecte vénitien ?

C’est ce que je suis en train d’apprendre en ce moment. Il n’y a pas de manuel, ce sont les rues et les gens qui sont mes livres. Entendre parler la langue vénitienne (on ne l’appelle pas dialecte ici !) me fait me rendre compte à quel point la ville est vivante, pleine de vénitiens. Beaucoup de mots dérivent de l’espagnol, du français, …

Te rappelles-tu ta première fois dans la Lagune vénitienne ? Qu’est ce qui t’avait le plus marqué ?

Venise, c’est ma première rencontre avec l’Italie, je me rappelle qu’en traversant le premier pont, j’avais été frappée par l’incroyable tranquillité créée par l’eau. Il n’y avait aucun bruit, seulement les talons qui battent le pavé, les voix, les barques, les rires dans les bacari (bar). Les rues semblaient magiques, un pays des merveilles, un parfum de poisson émanant des fenêtres. Je me rappelle avoir marché dans la rue où je vis aujourd’hui, c’est une rue très longue qui finit sur un cul de sac, directement sur un canal. Il y a des années je m’étais trompée de route, aujourd’hui c’est mon parcours quotidien.

Comment s’organise ta vie avec les vénitiens ? As-tu pris déjà leurs habitudes ?

Les vénitiens sont vraiment des personnages, j’adore découvrir leur personnalité ! À propos du quotidien, j’ai appris à marcher beaucoup plus qu’avant. J’utilise les vaporetti seulement pour partir dans les îles. Je mets mes vêtements à sécher à la fenêtre – les touristes les prennent en photo –  et je me suis achetée un chariot bleu pour faire les courses. Dans le reste de l’Italie, le chariot est un accessoire de vieux, pas à Venise où tout le monde a son chariot. Le chic local veut qu’on l’assortisse à une tenue élégantissime.

Le chic local ? Assortir son chariot de course à une tenue élégantissime !

Quel est ton quartier de cœur ?

J’ai toujours voulu vivre à Santa Croce, j’adore le nom. J’aime aussi San Polo et le Dorsoduro qui sont reliés à mon quartier. Ce sont des zones élégantes, pleines de vénitiens et pas encore trop abimés par le tourisme de masse. J’espère que l’on réussira à maintenir la situation comme cela.

Quelles sont tes adresses du quotidien ?

En voilà quelques-unes :

  • La Pasticceria Rio Marin à l’angle de ma rue pour le petit déjeuner
  • Le marché Mercato dei coldiretti à Santa Marta chaque lundi matin, et course de poisson au Rialto chaque samedi
  • Bibliothèque di Iuav pour leur sélection de livres de mode et l’architecture dingue des lieux signée Carlo Scarpa
  • Le Museo Gugghenheim pour discuter avec mon amie Patrizia qui dirige le service client
  • La Galleria Bugno pour découvrir des artistes contemporains comme Andrea Morucchio
  • Le Bar Al Teatro juste à côté de la Fenice pour l’aperitivo

Comment définirais-tu le charme de la Lagune vénitienne, des îlots ?

“La laguna è il mio parco” (la lagune est mon parc), dit-on à Venise. L’eau définit les limites urbaines depuis des siècles à Venise, elle jour le rôle de mur naturel de la ville. Là-bas dans la lagune, démarre la campagne vénitienne, qui à la différence de la campagne de Florence ou Rome, est sur l’eau. J’aime voir la Lagune comme ça : comme un petit bois, une forêt aquatique, un refuge où s’échapper et respirer, se sentir en union avec la nature, échanger avec des gens simples, chaleureux.

La Lagune est mon parc, une forêt aquatique, un refuge où respirer en union avec la nature

Tes îles préférées ?

Je dirais Saint-Erasme, même si je suis très jalouse et n’ai pas du tout envie de la partager ! La chose que j’apprécie le plus, c’est qu’il n’y a personne, j’y vais donc quand j’ai besoin d’être seule, d’ordonner mes pensées.

L’île est vide car il n’y a rien à y faire ! Elle est 100% agricole avec des orties, des champs d’artichauts. Difficile de trouver un magasin pour acheter de l’eau. Je me prépare un déjeuner et je l’amène avec moi. J’arrive et fais une longue marche de 3 heures sur l’île. Aucun bruit, à part les bateaux qui passent et les oiseaux. La même atmosphère rustique mais avec une touche chic, je la trouve à Mazzorbo où je vais déjeuner de temps en temps à l’Osteria Venissa. Leurs vins qui expriment le terroir unique salé de la lagune sont exceptionnels.

Toi qui connait bien Florence, trouves-tu les florentins et les vénitiens si différents ?

Si je mettais les vénitiens et les florentins dans la même pièce, ils seraient scandalisés par cette idée, mais je trouve qu’il y a des similitudes ! Ce sont les deux seules villes où je pourrais vivre. J’aime leur dimension, je suis attirée par leur fort caractère, le contraire absolu de la globalisation d’aujourd’hui. Je sens aussi l’histoire pulsée dans les veines de la ville, elle a forgé les comportements, les arts, les maisons, les gens. Ce sont des villes qui maintiennent leur unicité culturelle, elles sont raffinées, encore fermées par certains aspects aux étrangers, avec une individualité que j’apprécie.

Un lieu qui concentre tout le charme de Venise ?

Le Palazzo Fortuny, sans aucun doute.

Un lieu où faire une balade ?

Ma promenade inclut pratiquement toujours les Zattere (prenez une glace chez Al Sole !), un bout du Dorsoduro pour arriver au pont de l’Accademia, puis le campo Santo Stefano et en enfilade le campo Sant’Angelo.

Où vas-tu pour prendre un cocktail et des cicchietti ?

Pour les vénitiens le concept de bar trendy n’existe pas, seul le bar proche est important. Proche du lieu de travail, de l’université, de l’école des enfants (les mamans vont boire un spritz pendant que les enfants jouent sur la place après l’école). C’est peut-être pour ça que la plupart des bars sont bons (à part ceux gérés par les étrangers). Pour une bonne sélection de vins de Vénétie, je recommande le bacaro Adriatico Mar, pour profiter du soleil et regarder les gens passer, le Caffe Rosso sur le campo santa Margherita. Enfin pour les cichetti, il faut aller Al Bottegon : la propriétaire a écrit un livre sur le sujet ! Si je suis avec quelqu’un « d’important », je la porte au Harry’s Bar pour un Bellini car les lieux ont maintenu un certain charme d’antan.

Pour les vénitiens, pas de bar trendy, seul le bar proche est important !

Une trattoria pour des plats typiques ?

Le Paradiso Perduto dans le Cannaregio pour les fruits de mer, le poisson et l’atmosphère chaotique imprégnée des années 70, Alla Bifora à Santa Margherita pour goûter leurs 3 types de baccalà mantecato avec polenta; la Zucca plaira aux esthètes végétariens..

Tes dernières découvertes à Venise ?

  • La boutique de bijoux Maison de la Sireneuse de Cinzia Frontino à San Polo : au-delà des magnifiques pièces design, elle est vraiment un personnage. Je pourrais y passer des heures !
  • La Fondazione Ugo e Olga Levi pour une exposition hors des sentiers touristiques, dans un palazzo superbe. Jusqu’au 24 mars ils exposent les tableaux et céramiques de Corrado Balest, un peintre vénitien du 20 ème siècle.
  • Le café Lavena sur la place Saint-Marc, le même chic que le Florian (ouvert également en 1750) mais avec beaucoup moins de touristes. Mettez-vous directement au comptoir à l’intérieur !

Es-tu encore surprise par Venise ?

Je m’émerveille comme la première fois en traversant l’Accademia, en admirant le coucher de soleil sur les Zattere. Ou quand la brume habille Venise d’un manteau mystique, cachant les palais, les canaux. Je ne suis pas là seule, j’entends encore les vénitiens, ceux qui sont nés ici, être surpris par la beauté infinie de la ville.

Quel est l’art de vivre des vénitiens ?

Cela réside dans le fait de vivre toute la ville comme si elle était une extension de leur maison. Venise te fait sortir de chez toi, marcher, rencontrer des gens. Souvent, on ne te demande pas ton numéro de téléphone car on sait que l’on va te recroiser bientôt dans la rue. Ici, marcher c’est se socialiser, sans AUCUNE différence entre les gens. Les bateaux c’est pareil, les vénitiens riches ou modestes, pécheur ou nobles, ont le même type d’embarcation. Il y a un mix entre le haut et le bas, tout le monde va dans les mêmes bars, personne ne choisit son bar en fonction de sa classe sociale, ce serait de très mauvais gout. Electricien ou professeur, Tout le monde parle la langue vénitienne, manifeste contre les gros bateaux de croisière. Je trouve qu’être cultivé et intelligent est très respecté à Venise.

Malgré le tourisme, trouves-tu Venise encore très raffinée ? 

Absolument. Déjà car il y a encore beaucoup de gens raffinés, avec un goût très sûr. Si ces derniers restent, le tourisme de masse ne pourra jamais rendre une ville moins élégante. Mais je crois que c’est aussi notre responsabilité (les personnes qui visitent la ville où viennent y vivre), de maintenir la ville raffinée. Dans notre comportement, nos vêtements, les lieux que nous choisissons de visiter, nous contribuons à l’image que renvoie Venise.

Merci Elena !

Retrouvez Elena sur Instagram, sur son profil personnel ICI mais aussi Sur « Venezia di Nicchia » où elle échange sur toutes ses adresses préférées dans la Lagune.

Par Ali

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