Art de vivre italien
MEA AYAYA, une tradition de bijoux en filigrane sarde
Lorsque nous avons entamé notre série d’articles sur la Sardaigne, nous avons immédiatement pensé à interviewer Marina, la créatrice de Mea Ayaya. À 23 ans, elle a envoyé balader une carrière parisienne toute tracée pour se rapprocher de son île en créant Mea Ayaya, une marque de bijoux en filigrane sarde, une technique artisanale ancestrale qui disparaissait peu à peu. Rencontre avec cette jeune femme qui a décidé très tôt dans son parcours d’écouter sa petite voix.
Bonjour Marina, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?
Bonjour Emilie ! J’ai 25 ans, je suis franco-sarde, née d’un papa sarde et d’une maman franco-italienne. J’ai grandi à Paris. J’ai eu un parcours scolaire un peu atypique, en sport étude option danse classique et j’ai ensuite choisi de me lancer dans des études littéraires pour pouvoir faire coïncider ma passion pour la danse avec un métier plus concret. Après mes études, j’ai travaillé chez Repetto puis à l’Opéra de Paris, reliant ainsi métier et passion. Depuis toujours, j’ai besoin d’avoir du sens pour me lever le matin, mon métier devait donc avoir un petit supplément d’âme. J’ai une tendance à tout programmer, donc j’avais en tête un chemin tout tracé pour les 10 prochaines années, sauf que j’ai tout envoyé valser pour créer Mea Ayaya.
Pourquoi et comment est né Mea Ayaya ?
Je fais confiance au hasard et au destin de plus en plus. En 2019, comme tous les étés, je suis partie en Sardaigne voir ma famille. Cette période est toujours propice à la remise en question pour moi. Il y a un rocher sur lequel je vais m’installer face à la mer et je me questionne sur l’année écoulée, sur ce que je veux. Je l’appelle ma “thérapie du rocher”. Je n’étais pas épanouie au point de vue management dans mon boulot. Le même mois, ma grand-mère, mea ayaya en sarde, est décédée. À sa mort, elle m’a légué sa bague de fiançailles réalisée en filigrane sarde. Ça a remué beaucoup de choses. Le jour de mon départ pour Paris, je suis arrivée devant l’avion et j’ai pleuré. J’ai décidé de ne pas rentrer en France pour essayer de comprendre ce qui se passait dans ma tête. J’en ai parlé à mon père qui, depuis qu’il est à la retraite, vit en permanence dans son jardin de Sardaigne comme un ermite. Il m’a soutenue et m’a proposé de partir ensemble à la rencontre de l’orfèvrerie sarde. À partir de là a commencé l’aventure Mea Ayaya. En octobre, la société était créée. En novembre, les premiers bijoux étaient prêts. En décembre, je faisais ma première vente. En 3 mois, Mea Ayaya existait, comme s’ il y avait une urgence. Alors, évidemment, il y a eu énormément de travail et de doutes, mais il y a aussi eu une sorte d’alignement, une évidence, tout se mettait en place.
Il y a un rocher sur lequel je vais m’installer face à la mer et je me questionne sur l’année écoulée. Je l’appelle ma “thérapie du rocher”
Ce projet est intrinsèquement lié aux lignées de femmes. Était-ce quelque chose de conscient lorsque tu en as eu l’idée ?
Je ne l’ai pas tout de suite conscientisé. Tout est parti du décès de ma grand-mère, je ne savais pas comment faire mon deuil. Mea Ayaya, c’était ma manière à moi de lui rendre hommage avec la création de quelque chose. Depuis toujours, je dois transformer mes émotions en création, j’avais l’habitude de le faire avec la danse, mais cette fois, la danse n’a pas suffi. Ma grand-mère était une femme extrêmement coquette, romantique, me parlait de ses amants passés… J’ai eu envie d’en faire une égérie. C’était ma façon de continuer à la faire vivre.
Après, je me suis rendue compte que dans ma vie, un des éléments centraux étaient les femmes de ma famille : la mère de mon père mais aussi ma grand-mère maternelle (je l’appelais 6 fois par semaine) et évidemment ma mère. On était tout le temps ensemble toutes les 4 ! J’ai grandi avec ce côté très féminin. J’ai eu cette chance qu’elles étaient des femmes très libérées, il n’y avait de tabou sur aucun sujet (le mariage, la sexualité, l’épanouissement de la femme à tous les âges, la ménopause,… ). Il y avait une intimité forte, une transparence. Cette lignée de femmes, c’est mon fil conducteur.
J’ai alors décidé d’interroger autour de moi d’autres filles de mon âge à propos de leurs grands-mères, leur lignée de femmes. Je me suis rendue compte que ce lien intime était universel et très fort tout en prenant évidemment des formes différentes. Pour le lancement de Mea Ayaya, 60 femmes m’ont raconté avec leur regard ce que leurs grands-mères avaient apporté dans leur développement de jeune fille à femme. Ça a pris tout de suite sur Instagram, en ne postant que des photos des grand-mères des filles de mon entourage, je ne postais même pas encore les bijoux au début. J’ai commencé à recevoir des messages d’inconnues avec les photos et les histoires de leurs grands-mères. Elles voulaient que je les raconte pour elles. J’ai trouvé ça formidable : arriver à ma petite échelle à libérer une parole, non pas révolutionnaire, mais qui fait du bien.
J’ai commencé à recevoir des messages d’inconnues avec les photos et les histoires de leurs grands-mères. Elles voulaient que je les raconte pour elles. J’ai trouvé ça formidable : arriver à ma petite échelle à libérer une parole, non pas révolutionnaire, mais qui fait du bien
Peux-tu nous en dire plus sur ce savoir-faire ancestral qu’est le filigrane ?
C’est une technique très ancienne, qui remonte aux étrusques. Elle consiste à travailler un long fil de métal, traditionnellement en or. On le tord, on le soude, on l’enroule et on crée des motifs avec. Il existe différentes techniques comme par exemple le filigrane nid d’abeille, le filigrane en spirale (torsade), la granulation ou le pibiones (martelé, avec aspect pointillé) pour l’or. Et la technique de la cire perdue pour les bagues en argent. Ce que je trouve beau, c’est que ces techniques passaient d’un art à l’autre: de la tapisserie à la broderie et à la joaillerie. On apparente d’ailleurs souvent l’orfèvrerie sarde à de la broderie de métal, grâce à son tissage très fin et très travaillé.
Cette pratique est-elle encore répandue en Sardaigne?
C’est malheureusement un savoir-faire qui se perd, pour 2 raisons essentielles. Premièrement, avec la crise économique en Sardaigne (comme dans toute l’Italie, mais les îles sont particulièrement touchées), les enfants des orfèvres ont quitté l’île très jeune, pour faire leurs études et trouver un travail. Ils ne reprennent pas la suite des parents et les orfèvres ont un certain âge. Deuxièmement, il y a de moins en moins d’orfèvres qui tiennent le coup car la compétition due à la mondialisation se fait sentir. De plus en plus de bagues en filigranes sont produites en Chine à la machine et dans les grandes villes de Sardaigne (Alghero, Cagliari), les rues commerçantes regorgent de bagues en filigrane à 10€. Or, il faut environ 10h pour réaliser une bague en filigrane à la main ! Les touristes se laissent séduire sans comprendre l’enjeu. Les orfèvres n’y trouvent plus leur compte et les ateliers ferment. Pour moi, c’est très dur de voir que cette tradition suffoque.
Ce savoir-faire existe-t-il ailleurs qu’en Sardaigne ?
On en trouve pas mal ailleurs en Italie et au Portugal, un peu en Espagne aussi, mais comme je le disais, c’est un savoir-faire qui se perd doucement.
On apparente souvent l’orfèvrerie sarde à de la broderie de métal, grâce à son tissage très fin et très travaillé. Ce que j’aime beaucoup, c’est que ces techniques passent d’un art à l’autre: de la tapisserie à la broderie et à la joaillerie.
Comment as-tu sélectionné les artisans qui travaillent sur le projet ?
Je les ai trouvés un peu par hasard, avec mon père, en allant visiter les ateliers dans le Nord de la Sardaigne. Chose incroyable, un des orfèvres que j’ai rencontré avait appris le métier de son père, qui était en fait tous les dimanches chez ma grand-mère, c’était un ami de mon grand-père. Je travaille avec 3 orfèvres au total, 2 messieurs et 1 dame. Ils savent tout faire de leurs mains. Je pars à la recherche de pépites et d’inspirations dans les musées, les livres, je fais des croquis (je dessine extrêmement mal). Quand j’arrive à leur atelier, je leur montre mes croquis et ils savent les reproduire, ils me comprennent. Pour moi, ils fabriquent de leurs mains des joyaux. C’est un art.
Quelle éthique as-tu choisi pour ton projet ?
Mea Ayaya, c’est en priorité le maintien et le soutien d’un savoir-faire qui se perd. Je ne prétends pas les sauver mais je veux contribuer à leur maintien. L’idée est de proposer uniquement quelques jolies pièces travaillées, qui ont une histoire. Le but n’est pas de répondre à la course des nouvelles collections, à la fast fashion. J’ai décidé de produire à la commande, pour l’aspect écologique qui me tient aussi énormément à cœur. Il s’agit de bijoux singuliers, personnels et uniques. Ils portent le nom d’une grand-mère et des grands-mères, on n’en a pas plein !
Pas de la vente à la chaîne, mon objectif n’est pas de faire exploser les commandes et que les orfèvres ne sachent plus suivre. Je veux leur apporter une lumière, les faire découvrir à Paris. Je veux fonctionner dans le respect des valeurs des orfèvres et de la marque.
J’ai toujours dit que j’avais mon corps à Paris et mon coeur en Sardaigne
Quel est ton rapport avec la Sardaigne ?
J’ai toujours dit que j’avais mon corps à Paris et mon coeur en Sardaigne. J’ai ce lien à la terre très fort depuis petite. Tous les soirs quand je suis là-bas, je vais voir le coucher de soleil, je vais parler à mon rocher et au soleil depuis très très jeune. La Sardaigne a tjs été ma bouffée d’oxygène. Plus jeune, mes parents vivaient à Paris, j’allais à l’école à Paris, donc la question ne se posait pas, toute ma vie était en France. Maintenant que je suis en âge de décider par moi même, j’ai créé ce pont avec mon projet, une entreprise qui m’oblige à aller en Sardaigne tous les mois et à trouver un équilibre qui me rend heureuse. Quand je rentre à Paris, c’est anxiogène comparé à la vie en Sardaigne, mais j’y trouve aussi plein de belles choses. C’est notamment à Paris que Mea Ayaya prend vie et résonne.
Penses-tu qu’il y ait un art de vivre propre à la Sardaigne (différent de l’art de vivre italien) ?
Carrément ! Quand j’arrive en Sardaigne, je sais que je me mets pieds nus, j’ai mon maillot et un paréo et je suis comme ça pendant 1 mois. Il y a une façon de faire plus tranquille, tout est plus lent, la notion du temps n’est pas la même que sur le continent, les choses ne sont pas organisées. Si tu appelles le menuisier car tu as un problème, tu es sûr qu’il ne viendra pas au moment indiqué ! C’est quelque chose qui peut faire du bien, surtout pour une parisienne comme moi. Je dirai aussi que la valeur famille qui est déjà très italienne est encore exacerbée par la situation économique très complexe. En Sardaigne, on s’arrange comme on peut donc les grands-parents ont un rôle différent, important, ils vont chercher les enfants à l’école, dépannent les parents,…
Quelles sont tes adresses préférées en Sardaigne ?
J’en ai 3 :
Le restaurant Quintilio près d’Alghero (Loc. Calabona), pour sa situation au bord d’une falaise donnant sur le Capo Caccia, où on voit le coucher de soleil le plus magnifique de toute l’île en faisant un aperitivo avec des petits poissons frits et 1 bière Ichnusa. Il n’y a rien autour, juste ce spectacle.
Le parc national de l’Asinara, pour une balade en vélo électrique sur cette île magnifique. Tu es tout seul, il n’y a rien, tu fais 6h de vélo, tu passes de paysage en paysage, de crique en crique. Il y 1 seul endroit pour manger ou alors tu as prévu ton pique-niques.
Ma plage préférée, La Pelosa, la plus incroyable du monde. Je conseille de ne pas y aller entre juin et août car elle a été très médiatisée donc il y a énormément de monde, mais hors saison, c’est le paradis, une mini Seychelles !
Si tu devais résumer la Sardaigne en 1 mot ou 1 image, ce serait quoi ?
Mowgli. La Sardaigne te permet d’être Mowgli. J’ai un enfant sauvage en moi qui essaie de sortir depuis toujours et là-bas, tout se prête à ça.
Merci beaucoup Marina !
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Par Emilie Nahon
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